Interview d'Henri Krzyzanowksi

Témoignage d'Henri Krzyzanowksi.

Je suis né dans une cité des mines. Ce n'était pas la pauvreté, mais ce n'était pas évident. Mes parents étaient nés en France, mais nous vivions dans un milieu entièrement polonais (comme l'église par exemple). Notre vie était simple, nous n'allions pas en vacances, mais nous étions heureux.
Au début, nous vivions à deux familles dans une même maison. Puis nous avons changé de mine. Nous nous sommes retrouvés dans une maison pour nous seuls avec salle de bain et toilettes. Un vrai bon dans le modernisme.
 Le jour où je suis rentré à l'école maternelle, je n'ai plus parlé polonais. On me parlait polonais et je répondais en français. C'est aussi à ce moment là, à trois ans, que j'ai déclaré: "Je veux être maître".  J'étais bon élève. C'était très important pour mon père. Il avait arrêté d'étudier à 11 ans alors que ma mère avait étudié plus longtemps. Pourtant, c'est lui qui me suivait. Il y avait une télé chez les voisins chez qui j'allais le mercredi et le week end. Pour savoir si j'avais le droit de la regarder, je devais aller demander l'avis du prof qui me donnait la permission ou pas selon mon comportement de la semaine. Je n'ai jamais pu raconter n'importe quoi à mes parents. Ma scolarité primaire s'est bien passée. Au collège, ça a été différent. J'y allais en bus et mon père ne pouvait plus me suivre. J'ai été viré en cinquième. Ce collège avait été construit dans des anciens carreaux de fosse. Les cours avaient lieu dans les anciennes salles des mines et dans des préfabriqués. J'avais un prof qui s'appelait Lechien et avec un copain, nous avions écrit sur les mur: " A bas les kiens, vive les kats! ". On a dit à mon père qu'il valait mieux me changer d'école. J'ai eu peur de la rouste. Ca a été pire, il ne m'a rien dit. En fait dans ce collège, j'ai fait l'expérience de la liberté comme d'autres la font aujourd'hui en rentrant à l'université.
 Par la suite, cela s'est bien passé. J'ai passé le concours de l'école normale. C'était une vraie aubaine quand on était ouvrier, car la scolarité était payée par l'état. De la seconde à la terminale, tout s'est bien passé. Par contre, je me suis posé des questions quand je suis arrivé en formation professionnelle. J'y ai vu des profs qui me semblaient vraiment "graves" . Je me souviens de l'un d'eux qui restait sans arrêt derrière son bureau. J'ai eu mon premier poste en 6e de transition. Il s'agissait de remettre à niveau des élèves qui étaient en échec. Cela a réussi pour quelques uns. Je m'y sentais bien, car il n'y avait pas de programme. J'ai commencé une formation pour devenir instit de transition mais la formation a été supprimée. J'ai fait une SEGPA (enseignement spécialisé collège) puis je suis parti à l'armée.

Au début j'avais demandé la coopération. J'ai obtenu Haïti. Mais comme c'était l'époque des tonton makout, j'ai refusé. Je me suis retrouvé en bataillon semi disciplianaire. J'avais découvert le militantisme en formation professionnelle. A l'armée j'ai monté en lien ave la LCR un syndicat de soldats. Nous avions même un journal intitulé  "Les boeufs voient rouge". Les boeufs était le surnom donné aux soldats de l'armée de terre. Je me suis retrouvé en prison 45 jours. Après l'armée, j'ai continué la SEGPA puis j'ai commencé une formation d'instituteur spécialisé: le CAEI. J'ai alors organisé une grêve contre la formation. Résultat, je n'ai pas eu mon CAEI après avoir été descendu en note pratique par l'inspecteur. A ce moment là, personne n'a voulu me soutenir, ni le syndicat ni les profs qui bien qu'inscrits au PC pour certains d'entre eux, considéraient mon action comme indéfendable. Je me suis alors éloigné du militantisme.

Par la suite, j'ai continué à enseigner en spécialisé sans avoir le diplôme. Un jour un jeune inspecteur est venu me voir en me déclarant qu'il n'y connaissait rien. A la fin de l'inspection, il m'a mis deux points de plus. Je lui ai demandé comment cela se faisait-il qu'on me mette 2 points alors que l'on m'avait refusé le diplôme. Il m'a simplement répondu: "Vous le méritez."

Ensuite, j'ai eu mon premier poste de titulaire à Lomme. J'ai repris le militantisme avec le SGEN. (CFDT) DE 81 à 82, j'ai travaillé à mi temps (CE2,CE1,CP) je consacrais mon autre mi temps à travailler bénévolement pour le syndicat. J'ai fait alors parti d'un groupe de réflexion qui a mis en avant l'idée des ZEP (Zone d'éducation prioritaire), soit donner plus à ceux qui en ont moins. Par la suite, j'ai beaucoup changé de niveau, j'ai fait de la pédagogie Freinet. Je faisais un journal, et nous faisions beaucoup de sorties. J'ai aussi été remplaçant, ce qui m'a permis de découvrir la maternelle qui ne propose vraiment pas le même boulot. (Il y faut beaucoup d'idées et énormément de prépartion matérielle.) Ensuite, je suis devenu directeur. Je n'ai pas eu mon premier entretien. Je pense que je ne correspondais pas à ce qui était demandé à l'époque. On voulait des "maîtres directeurs" et moi je pensais plutôt à un fonctionnement d'équipe. Par la suite, j'ai eu l'entretien et j'ai été directeur pendant 10 ans.

 J'aimais le travail d'équipe, insuffler des idées. Je ne voulais pas être le chef mais proposer des idées aux collègues. Je tenais toujours à ce que l'on m'appelle "instituteur chargé de direction" plutôt que directeur. Pour moi c'était important de garder un pied dans la réalité afin de faire la différence entre ce qui était réalisable et ce qui ne l'était pas. J'ai toujours été marqué par l'idée de laïcité. Et j'ai été très déçu par l'échec du projet Savary qui voulait mettre en place un grand service publique. C'est grâce à l'école publique que je m'en suis sorti. Beaucoup de mes copains sont allés à l'usine ou même "au fond". Tout ce que je suis, c'est l'école qui me l'a donné.

Le syndicalisme a aussi eu une grande place dans ma vie. Dans les années 80, nous avons créé un journal Maho libertaire: le FAS (Fond d'action scolaire). Son but était de changer l'éducation nationale en remettant en cause un système qui reproduit les classes sociales. Le SGEN (CFDT) était un lieu où les idées foisonnaient. Je l'ai finalement quitté après l'accord sur les retraites. Aujourd'hui, je suis au SNUIPP mais je n'y suis plus très actif. Je préfère militer avec les actifs plutôt qu'avec les retraités. J'ai aussi participé à différents comités: pour Solidarnosc, le Chili et l'Afganistan

 Les tournants dans ma vie:
 - Le service militaire et les 45 jours de forteresse. J'ai appris à ce moment là ce que c'était que de se battre pour des idées et de le payer cher. Se battre, c'est aussi accepter de recevoir des coups. Avec mon père, cela a aussi été l'occasion d'un clash. Pour lui il y avait le prestige de l'uniforme. Il avait même pensé s'engager.
- Le concours d'école normale. C'était la première année que des élèves du collège étaient reçus, et nous étions trois à l'avoir eu.
-Ma recontre avec Francine. J'ai l'ai recontrée pendant mon service militaire. Elle était antimilitariste. Moi je ne l'étais pas encore devenu. Je croyais à l'armée du peuple. Elle allait voir les objecteurs de conscience. A partir de là, elle m'a fait rencontrer beaucoup d'autres personnes et je me suis engagé davantage. A l'époque, ça foisonnait.
-Les voyages m'ont aussi beaucoup marqué. En rencontrant d'autres cultures, on découvre d'autres façons de vivre et de voir les choses. En Inde par exemple, j'y ai découvert un autre rapport aux choses matérielles. Beaucoup de choses simples ressurgissent comme le rapport à l'eau par exemple. Cela a changé ma façon de militer. Quand on faisait, grêve, je ne le faisais pas pour demander des hausses de salaire.

Fil rouge:
La lutte contre les inégalités pour un monde meilleur. Professionnellement, je voulais que chaque enfant puisse développer ses potentialités, j'essayais de ne jamais cataloguer. La lutte pour les libertés, pour la liberté.

Mes réussites:
Quand j'étais directeur, j'ai réussi à mettre en marche un véritable travail d'équipe où les décisions venaient de tous. Avec les élèves, j'ai réussi à garder une façon de faire qui soit en accord avec ma conception de l'école.

Mes échecs:
Les enfants qui ne réussissent pas. Les comités (Afganistan, Chili, Solidarnosc), ça n'aboutit pas à grand chose. Une société de plus en plus individualiste. Mes relations avec certains collègues pour qui l'intérêt personnel passait avant l'intérêt collectif.

Mes attentes:
Une société plus juste. Parfois j'y crois, parfois j'y crois moins. A force, je me demande si ce n'est pas une utopie. Mais c'est bien les utopies, il faut croire. Cela permet d'avancer même si l'on ne peut pas l'atteindre. Oui, on peut aller vers un monde plus juste. Ce à quoi je crois et ce à quoi je ne crois plus. C'est trop flou, croire ou ne pas croire. Ca disparaît, puis ça revient. Mais c'est quand même pas possible d'arriver à un tel monde. On régresse, le nombre de personnes sous le seuil de pauvreté augmente. Un jour, il faudra faire quelque chose pour que ça s'arrête. Après le crac boursier, on distribue de nouveau des bonus aux traideurs et des millions de gens sont au chômage.

Qu'est-ce qui te porte?
Les voyages (En Inde, en Chine, au Vietnam, en Indonésie, en Thaïlande, au Srilanka, en Jordanie, au Sénégal en Europe). C'est difficile mais très enrichissant. C'est surtout en Inde que j'ai été marqué. Je me souviens d'école très pauvres avec des enfants qui avaient soif d'apprendre, ce que certains chez nous ont perdu.

Comment appréhendes-tu ta mort ?
 Le plus tard possible, après beaucoup de nouveaux voyages. J'espère que je verrai une partie de mes idéaux réalisés. J'ai eu une vie bien remplie, j'ai essayé de suivre mes idées. Je suis content de ce qui a été fait. Après moi les mouches...

Les enfants?
Au début, j'en voulais mais pas Francine. Puis ça a été l'inverse. J'approchais de la quarantaine, c'était trop compliqué pour moi. La vie est compliquée sans les enfants. Mais elle est stressante avec. Je n'avais pas envie de changer ma vie.

Interview réalisé par Guillaume Auguste – Juillet 09


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